Une newsletter avec un choc à l'intérieur
Autodidacte, je partage dans ma newsletter mes découvertes, mes expérimentations et les étapes de mon projet artistique sur un tempo “qui va piano va sano”. Il est possible que la newsletter soit trop longue pour un e-mail. Dans ce cas, ouvrez-la dans un autre onglet.
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Bonne lecture !
Dans le film Le temps de l’aventure avec Emmanuelle Devos et Gabriel Byrne, Emmanuelle Devos, dans ses pensées, rentre dans un poteau (gentiment il me semble au regard de la suite, si vous regardez la bande-annonce, dites-moi ce que vous en pensez en commentaire ). Lorsque j’ai vu le film, j’ai pensé que ce genre de rencontre avec le matériel urbain pouvait tout à fait m’arriver (étant souvent dans la lune et mes pensées) mais je ne pensais pas que cela se produirait le jour de mon anniversaire.
Sauf que je suis rentrée dans un poteau en prenant (quasi) de l’élan, non pas parce que je voulais en finir avec la vie, abattue par mon changement de dizaines mais parce que je marchais d’un bon pas …la tête baissée vers mon écran de téléphone pour vérifier une adresse (je sais c’est pas bien ). Non contente de la potentielle bosse sur le front (qui n’est, au final, pas venue, je dois avoir la tête dure), je me suis, par je ne sais quelle pirouette (Pierre Richard, sors de ce corps), claquée la tête en arrière contre un mur (et là cette fois la bosse a été immédiate et douloureuse). J’avoue que l’espace d’un instant, ma tendance à la “mélodramatisation” (on a bien inventé le mot “romantisation” alors pourquoi pas “mélodramatisation”) m’a poussé à imaginer que j’allais être victime d’un traumatisme crânien là sur ce trottoir et mourir le jour où j’avais franchi la barre du demi-siècle. J’imagine l’épitaphe sur ma tombe “Elle fonçait toujours tête baissée” “Elle était attentive aux petits détails mais ne voyait pas les poteaux devant ses yeux”. Finalement avec quelques bleus sur le corps, je suis toujours là et vous comprenez maintenant le titre de cette newsletter.
Une telle chute, le jour de mon anniversaire, est peut-être juste un hasard (mais si vous avez lu au moins un roman de Paul Auster, vous savez quelle importance ont les hasards dans nos vies) mais à priori je m’en souviendrai.
Celle qui ne voyait pas les poteaux mais les différentes variétés de pommes
Comme j’espère me souvenir de ma lecture en cours, Kolkhoze, le dernier roman d’Emmanuel Carrère. J’ai lu tout juste 70 pages (sur quasi 600 et c’est pas un page-turner) et j’ai retrouvé l’érudition et la richesse de sa plume (en termes de digressions, il est au coude à coude avec Philippe Jaenada dans un autre genre, si un jour ils buvaient un coup ensemble, je me demande qui irait au bout de son histoire ). C’est à la fois stimulant (Emmanuel Carrère donne envie d’en apprendre plus sur une multitude de sujets) et exigeant (surtout à une période de l’année où le travail semble me vider de ma concentration une fois rentrée à la maison). Je prends des notes au fur et à mesure de ma lecture et j’ai été frappée récemment par les pages qu’il consacre à l’écrivain Nabokov et à son acuité sensorielle.
Les insectes, les papillons, les champignons, les herbes rien dans son monde chatoyant n’est générique.
Un “papillon” ça n’existe pas [….] Ce qui existe, c’est l’argus bleu, le gâte-bois, la tordeuse du chêne, le grand nègre hongrois, la carmélite de Siévens, le géomètre pavillonnaire, et si on préfère les noms d’apparat, en latin le Cyllopsis pyracmon nabokov (Nabokov, oui, c’est lui, qui a identifié ce spécimen rare de nymphe des bois. (Emmanuel Carrère, Kolkhoze)
En lisant ce passage, je n’ai pas pu m’empêcher 1) d’aller voir la tête de ces papillons (si vous cliquez sur les liens au-dessus vous en verrez quelques uns) 2) de chercher combien d’espèces de papillons existent (réponse d’après l’office français de la biodiversité, il existe en France métropolitaine 301 espèces de papillons de jour mais 200 ont disparu d’au moins un département depuis le siècle dernier soit 66% des espèces / dans le monde il y aurait entre 120 000 et 150 000 espèces !) 3) de penser à la vitrine qui présente une magnifique collections de papillons au Musée des Confluences à Lyon (et si vous n’êtes pas à Lyon, vous pouvez jeter un œil en ligne sur le fonds Régis Mouterde).
Après cela, mon esprit en escaliers a songé aux poires et aux pommes dessinées récemment dans mon carnet de croquis avec le plaisir de m’attarder sur les spécificités en termes de couleurs, de formes et autres caractéristiques visuelles de quelques fruits.
Pourquoi ne pas élargir cette acuité visuelle aux objets comme les fauteuils, les luminaires, les stylos et bien d’autres choses qui ne sont pas de l’ordre de la nature. Autant de champs à explorer en dessin !
Celle qui ne voyait pas les poteaux mais le dialogue poignant entre un père et sa fille
Est-ce à cause de ma chute récente (vous noterez mon insistance à trouver un fil conducteur à tout prix )) mais je ne suis pas parvenue à résumer les expositions vues pendant les Rencontres de la photographie. J’ai choisi de partager celle qui m’a le plus bouleversé parce qu’elle touche aux questions de l’exil, la nostalgie, la blessure intime (et si cela vous intéresse, je pourrai mettre en avant une autre expo vue à Arles dans la prochaine newsletter…n’hésitez pas à me dire en commentaire).
Laissez-moi vous planter le décor d’abord car il me semble qu’une des spécificités de ce festival, en dehors de sa diversité artistique, est l’originalité des lieux (lieux quasi abandonnés côtoyant lieux patrimoniaux). L’exposition Père de Diana Markosian était présentée à l’étage d’un Monoprix (peut-être un ancien lieu de stockage, en tous cas un espace bétonné au sol et au mur et sans fenêtres). Pour arriver à l’exposition, on traverse le magasin, rayons alimentaires puis vêtements, une personne vérifie même si vous n’avez pas piqué quelque chose au passage :)
Comme pour chaque exposition, à l’entrée se trouve un bureau d’accueil avec un agent qui scanne votre passe et ensuite vous restez autant de temps que vous voulez, vous circulez dans le sens que vous souhaitez, vous pouvez revenir sur vos pas sans problème. De bonne heure, on était même pas 10 alors qu’on m’avait mis en garde sur le monde à Arles l’été.
Diana Markosian s’est nourrie de son histoire familiale pour ce projet. Alors qu’elle vivait à Moscou depuis 7 ans, sa mère la réveille en pleine nuit ainsi que son frère ainé et après avoir laissé un mot sur la table, ils quittent le domicile et s’envolent pour les Etats-Unis. Pendant 15 ans, son père cherchera ses enfants partout (ses lettres à différentes administrations sont présentées dans l’exposition). Diana, un jour, revoit son père en Arménie mais ce dernier lui apparait, désormais, comme un étranger.
Sur les raisons de la fuite de sa mère, la fin du mariage et la volonté d’effacer aussi physiquement le père (en le découpant des photos de famille), on n’apprend rien mais Diana Markosian y a consacré un livre (que forcément j’aimerais lire), Santa Barbara.


L’exposition Père choisit de montrer les lieux où vit le père avec en particulier une photo qui m’a beaucoup marqué parce qu’elle est entre ombre et lumière et est d’une beauté incroyable. Le père de l’artiste est assis, le décor est plongé dans le noir et seules apparaissent très nettement son visage et le haut d’un livre qu’il tient entre les mains.
Les photographies des moments que père et fille ont partagé après leur retrouvailles, suggèrent à la fois ce temps perdu qui ne se rattrapera jamais, l’amour d’un père d’un côté et le sentiment d’avoir face à elle un inconnu de l’autre, cette volonté de s’apprivoiser et d’apprendre à se connaître. L’artiste a choisi de scénariser ces retrouvailles avec un espace au très faible éclairage ce qui renforce l’impression d’intimité, avec de la musique et un montage vidéo. Je suis sortie de cette exposition un peu sonnée et très émue.
J’ai été aussi marquée par une photo où le père tient entre ses mains, celles de sa fille :
Est ce qu’il lui dit par ce geste “je suis là maintenant pour toi même si j’ai été absent pendant si longtemps”? Est ce qu’il prend ses mains dans les siennes pour s’assurer qu’elle est bien là face à lui et qu’il ne rêve pas ? ou est ce simplement un geste de protection contre le froid ? Les mains sont si expressives, pas un hasard si elles reviennent régulièrement sous mes crayons :
D’ailleurs ma dernière illustration met en scène des mains. A découvrir bientôt !
Les inspirations du moment
Le roman graphique Flous artistiques
Flous artistiques de Dash Shaw est un roman graphique choral (première fois que j’en lis un !). Le fil narratif part d’un couple et au fur et à mesure de la lecture, ils rencontrent dans leur vie quotidienne des personnes dont l’auteur nous raconte aussi des morceaux de vie. Chaque page est construite avec 4 cases, le dessin est simple mais il va à l’essentiel. Les situations exposées mettent en scène nos hésitations face à des choix du plus anecdotique (parfum de glace, col de chemise) au plus important (se marier ou pas).
L’un des personnages est modèle pour des cours de nu artistique et c’est l’occasion pour l’auteur de nous glisser quelques conseils de dessin (en tous cas, c’est ma lecture ).
La série Empathie
Mise en scène, dialogues, situations, psychologie des personnages, bande-son, ton tragi-comique, j’ai tout aimé dans la série Empathie. En prime j’ai savouré le vocabulaire, les expressions québécoises (et l’accent ! parfois on est même un peu perdu si on ne met pas les sous-titres mais cela participe à se plonger dans l’ambiance). Les acteurs et en particulier le duo composé du docteur psychiatre Suzanne Bien-aimé ( jouée par la réalisatrice Florence Longpré, dont j’ai très envie maintenant de voir la première série, Audrey est revenue ) et l’infirmier Mortimer Vaillant (interprété par Thomas Ngijol qui prouve ici que sa palette de comédien est plus large que la comédie) sont très bons. Et bravo aux québécois d’assumer leur goût pour la variété (en France c’est plutôt vu comme ringard il me semble ).
La citation du roman Finistère d’Anne Berest
C’est peut-être grâce à eux Eugène et Odile que j’aime tant les voyages en train. Ils m’ont toujours semblé porteurs d’une promesse sensuelle, d’un ailleurs érotique, d’une vie recommencée, le lieu possible d’une rencontre.
C’est terminé pour aujourd’hui! Merci de m’avoir lu jusqu’ici et n’hésitez pas à échanger avec moi en laissant un commentaire ou en m’envoyant un message.
A bientôt !
Mentionnés dans cette newsletter :
Roman Kolkhoze d’Emmanuel Carrère
Philippe Jaenada
Les rencontres de la photographie d’Arles
Les projets photographiques de Diana Markosian
Santa Barbara, Diana Markosian
Roman graphique Flous artistiques de Dash Shaw
série Empathie de Florence Longpré
série Audrey est revenue
comédien Thomas Ngijol
roman Finistère de Claire Berest










Toujours passionnante ta newsletter. J’espère que la bosse n’est plus douloureuse 😅🤞
J’ai visité Lyon il y a des années et je me souviens très bien de cette vitrine de papillons au musée. J’en avais mm fait une photo que j’avais postée à l’époque.
L’expo photo a l’air très intéressante, merci pour le contexte.
Bonne semaine !
Un bonheur du dimanche matin ta newsletter ! Que de choses intéressantes à lire. Tellement, que je vais devoir la relire avant de te poster un commentaire, tant les idées fusent dans ma tête . Merci 💙