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Bonne lecture !
Inutile de sortir votre pipette de sérum physiologique ou de prendre rendez-vous avec votre ophtalmo après avoir lu le titre de ma newsletter, aucune manipulation ne vous sera demandée. Aujourd’hui j’avais envie de vous parler du regard et j’ai emprunté cette expression à un auteur dont il sera question plus tard .
Regarder ce qui est invisible pour beaucoup
J’ai visité récemment au musée Maillol à Paris, l’exposition, Instants données qui présente une sélection de 400 photos de Robert Doisneau sur 3 étages avec des thèmes aussi divers que :
-l’enfance (peut-être le plus évident, dans les photos les plus connues de l’artiste, vous avez peut-être en tête, ces écoliers en blouse assis derrière leur bureau en bois ou ces enfants qui font le poirier dans la rue)
-les ateliers d’artiste
-les bistrots
-les banlieues
-les écrivains
-les années Vogue (collaboration avec ce magazine, les photos de danse sont mes préférées de cette partie, les autres m’intéressent moins)
-les années Renault : Doisneau a travaillé quelques années dans les usines Renault de Billancourt à la fois pour documenter toute la vie à l’intérieur de ce qui ressemblait à une ville par sa superficie et pour produire des images publicitaires …il a fini par être viré pour son manque de ponctualité :)
-une partie intitulée Gravités (avec ou sans s je ne sais plus) qui suggère autre chose que la légèreté à laquelle le photographe est en général associé (il a photographié des personnes en marge de la société par leur précarité, pauvreté ou statut).



Lors du parcours, un court portrait de Robert Doisneau est projeté en vidéo. L’artiste dit qu’une photo réussie est une photo qui capture quelque chose que le passant ne voit pas (parce que trop pressé, parce qu’aveugle à ce qui l’entoure) mais qui lui donne envie d’être plus attentif à l’avenir. Voir le merveilleux dans l’ordinaire, c’est ce qui guide souvent son regard et il en résulte une poésie qui oscille entre légèreté, humour (avec par exemple la série de photos intitulée la vitrine de Romi …si vous allez voir l’article en cliquant sur le lien vous découvrirez en prime la chanson Les fesses des frères Jacques ) et mémoire sociale d’une époque.
Le photographe tire par la manche l’homme pressé au regard fixe et lui montre le spectacle gratuit et permanent de la rue
Le parcours de visite de cette exposition est un peu tordu. Elle commence au rez-de-chaussée ensuite il faut revenir sur ses pas pour trouver les escaliers et monter au second étage puis redescendre au premier étage où elle se termine. Lorsque vous présentez votre billet d’entrée, on vous l’indique mais prise par ce que je voyais, je me suis arrêtée au premier étage et j’ai failli louper le second (et je n’ai donc pas suivi l’ordre indiqué). Cela aurait été dommage car il met en parallèle les œuvres de Maillol et les photographies de Doisneau.
Cela m’a permis de découvrir qu’avant de sculpter ces statues imposantes, Maillol est passé par le dessin, la peinture, le modelage en “petit format” avec pour muse et modèle Dina (est ce que j’ai eu envie d’acheter Histoire de ma vie racontée à Alain Jaubert de Dina Vierny dans la librairie du musée ? bien-sûr que oui ! mais je me suis contentée de le noter, ma pile de livres à lire étant déjà au delà du déraisonnable)


Dans les salles consacrées aux dessins et peintures de Maillol, sont exposées des photographies de Doisneau qui mettent toutes en scène des personnes qui regardent elles-mêmes des tableaux (au Louvre devant La Joconde et la fameuse série de la vitrine de Rami dont je vous parlais plus haut).
Je me suis retrouvée seule dans une salle où sont disposées en cercle des sculptures de Maillol auxquelles répondent des photographies de Doisneau prises pendant l’installation de statues de l’artiste dans le jardin des Tuileries. Même si les photos sont assez amusantes, j’avoue que j’ai passé plus de temps à regarder les sculptures, capturant les mains et les pieds de ces femmes dans diverses postures pour de futures études, les mains étant un “sujet” que j’aime travailler particulièrement.


J’étais très près de ces sculptures et soudain j’ai eu quasi l’impression que leur regard était vivant, qu’elles allaient me parler (et dans ma tête je leur ai même adressé quelques mots). Tout lien avec la lecture de la bande dessinée Le grand incident n’est pas purement fortuit.
Réapprendre à regarder
C’est aussi notre regard sur les choses les plus quotidiennes que questionne le dessinateur Chabouté dans sa dernière bande dessinée, Plus loin qu’ailleurs. C’est l’histoire d’un mec comme dirait l’autre, lessivé physiquement et moralement par son boulot sans intérêt et qui s’apprête à partir en Alaska quand divers événements empêchent son projet de se réaliser. Il décide alors plutôt que de rentrer dans son studio, de prendre une chambre dans un hôtel juste en face de chez lui et de tenir un carnet de voyage …de son quartier.
Au fil de la bande dessinée, on découvre les pages de ce carnet ou plutôt des encadrés de celui-ci :
-la faune locale (canard strié, poisson trompette, des pliages qu’il effectue à partir de petits papiers ramassés dans la rue)
-guide de survie face à l’ours (un sdf avec qui il va apprendre à échanger)
-les antisèches de quotidien (les listes de courses qui s’échappent des poches des gens)
Réapprendre à regarder, voir à nouveau tout ce que le routinier et le familier ont lentement filtré, mis de côté, élagué, redécouvrir et donner à cette quête une dimension passionnante
La prochaine fois que vous êtes dehors, essayez d’observer ce qui vous entoure comme dans ces planches ci-dessous :

Est ce que vous pensez que la couleur des objets a une incidence sur vos ressentis ? Mangeriez-vous une banane si elle était bleue ? Ces questions, le narrateur se les pose, réinvestissant au fil des jours tous ses sens endormis.
Voir à nouveau […] tout ce dont le regard s’est débarrassé pour ne laisser la place qu’à l’efficace, le rentable, l’utile, au profit de l’action et du temps optimisé'“
C’est là que le narrateur invite le lecteur à “se dépoussiérer les yeux”.
Utopique dans un monde où tout va toujours plus vite ?
Ce “programme” est-il réalisable dans le monde actuel. Dans la bande dessinée, La Pythie vous parle de Liv Stronquist (qui analyse les discours d’experts pour améliorer notre vie ou nous sortir d’une mauvaise passe, discours qui ont toujours existé mais qui ont pris une importance inédite avec les réseaux sociaux), j’ai été particulièrement intéressée par le dernier chapitre qui revient sur l’accélération de notre rythme de vie (entre autres) fortement liée au capitalisme :
Comment peut-on être ouvert à l’observation si on est 1) toujours le nez sur son téléphone 2) toujours dans une optique de remplir au maximum ses journées.
Se dépoussiérer les yeux ne serait-ce pas aussi de la décroissance ?
Du beau, de l’inspirant
Je suis aussi passée lors de ma journée parisienne à Slow Galerie (que d’illustratrices talentueuses dans ce lieu !) pour aller voir l’exposition les cacophonies de Camille de Cussac. C’est joyeux, coloré (Camille de Cussac travaille au posca) et musical, bref cela donne le sourire.


J’avais depuis un petit moment dans mes favoris le podcast La bonne aventure, dont le principe est d’interviewer les artistes lors du vernissage des expositions présentées justement à Slow Galerie. J’ai écouté l’émission consacré à Maguelone Du Fou (pourquoi elle ? Tout simplement parce que j’aime son style et parce que le titre de son expo, Nuit, jour m’intriguait). J’ai noté :
- que lorsqu’elle travaille sur une illustration, elle imagine toute une histoire
-que pour cette série, elle a créé son propre bleu en mélangeant de l’outremer et du jaune pour que ce soit plus chaud que l’outremer seul qui tire vers le rouge et qu’elle a utilisé le même bleu en plus clair pour créer ses ombres
-qu’il n’y a pas forcément besoin de tout représenter dans un dessin (pas de volets à une maison par exemple)
-que pour cette série, elle a travaillé à la verticale, ce qui permet à la fois un mouvement plus libre et plus de concentration si on veut être précis (et cela m’a rappelé que je me suis acheté un pupitre que j’utilise trop peu)
-qu’elle veut, avec ses illustrations, rendre encore plus beau, l’existant
…et je suis en train d’écouter l’émission à Camille de Cussac, la façon dont travaillent les illustratrices professionnelles m’intéressent forcément !
Enfin, je suis allée voir le film Partir, un jour. Ce n’est pas un chef d’œuvre mais si vous aimez les chansons populaires (dont la fameuse Partir un jour des 2B3 reprise par Juliette Armanet avec une délicatesse que je n’aurais jamais soupçonné dans la version d’origine) et les histoires de premier amour (au départ Partir, un jour était un court métrage qui est disponible sur Arte mais attention dans ce court métrage les personnages sont inversés et pas vraiment les mêmes que dans le film), foncez, c’est le genre de film qui agit comme un bonbon acidulé.
Merci pour votre lecture ! N’hésitez pas à me laisser un petit ❤️ ou à commenter (ou même les deux, soyons fous).
Mentionnés dans cette newsletter :
Exposition Instants donnés au musée Maillol
La vitrine de Romi
Histoire de ma vie racontée à Alain Jaubert de Dina Vierny
Bande dessinée Le grand incident de Zelba
Plus loin qu’ailleurs de Chabouté
La pythie vous parle par Liv Strömquist, traduit par Sophie Jouffreau
Slow Galerie
Les cacophonies de Camille de Cussac (mes préférés : piano bar; les 3 petits cochons corses; Paroles, paroles, paroles )
Podcast La bonne aventure
Maguelone du Fou
bande annonce du film Partir un jour
En savoir plus :
L’exposition racontée par les filles du photographe
Dina Vierny (le moins qu’on puisse dire c’est que sa vie n’est pas un long fleuve tranquille et j’ai appris que le peintre Bonnard n’aimait pas les femmes rondes )
Je crois que je vais aller au cinéma 😋j’ai bien aimé le court métrage et cette thématique du retour me parle.
Bon bé j'ai 2 BD de plus à lire ! Merci !